2 mars 2011

Lettre de Olin Moyle à Joseph Rutherford


Olin Richmond Moyle, avocat principal des Témoins de Jéhovah de 1935 à 1939, écrivit une lettre personnelle de protestation au second Président de la Société Watchower, le Juge Joseph Rutherford, au sujet de son comportement au Béthel. Rutherford, après avoir rendu la controverse publique, expulsa Moyle dans les 24 heures du Béthel, avec l'appui des autres directeurs. Par la suite, Rutherford publia deux articles sur Moyle dans la Tour de Garde où il le comparait à Judas Iscariote, sans toutefois publier la lettre fautive dont il se contenta de dire qu'elle était remplie de mensonges et servait les intérêts de Satan. Rutherford donna également l'ordre que Moyle soit exclu par sa congrégation locale. Olin Moyle attaqua en justice Rutherford et la Société Watchtower pour atteinte à sa réputation et mauvais traitements. Moyle gagna son procès et obtint 30000 dollars en réparations des torts subis. Cette affaire extrêmement gênante ne figure évidemment pas dans le livre "Prédicateurs du Royaume". 
Voici la traduction de la lettre du frère Olin Moyle, documentée de quelques photos.
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Conseiller juridique OLIN R. MOYLE
117 Adams Street, Brooklyn, New York
Telephone Triangle S-1474
Le 21 Juillet 1939


Juge J.F. Rutherford, Brooklyn, N.Y.



Cher Frère Rutherford:

Cette lettre a pour but de t’avertir de notre intention de quitter le Béthel au 1er Septembre. Les raisons de ce départ sont données ci-dessous et nous te prions de leur accorder une attention soutenue et réfléchie. 

Les conditions au Béthel sont un sujet qui concerne l'ensemble du peuple du Seigneur. Nulle part au milieu d'hommes imparfaits on ne peut trouver une liberté exempte d'oppression, de discrimination et de traitement injuste, mais en ce qui concerne les quartiers généraux du Seigneur sur terre, les conditions doivent être telles que les injustices soient réduites au minimum. Ce n'est pas le cas ici au Béthel, et il nous faut protester à ce propos. Je suis bien placé pour émettre une telle protestation, car ton comportement envers moi a été en général gentil, empreint de considération et juste. Je peux émettre cette protestation dans l'intérêt de la famille du Béthel et du travail du Royaume sans qu’aucun intérêt personnel n’entre en compte dans l'affaire. 

Mauvais traitements de la famille du Béthel 

Peu de temps après notre arrivée au Béthel, nous avons été choqués d'être les témoins du spectacle de nos frères recevant ce qui fut désigné comme une "raclée" de ta part. La première fois, si ma mémoire est bonne, il s’agit d’une correction verbale administrée à C.J. Woodworth. Woodworth, dans une lettre qui t'était adressée personnellement, déclara quelque chose comme le fait que cela reviendrait à servir le diable si l'on continuait à utiliser le calendrier actuel. Pour cette raison, il a été humilié, traité d’âne et a reçu une fustigation publique. D'autres ont été traités de façon identique. McCaughey, McCormick, Knorr, Prosser, Price, Van Sipma, Ness et d'autres ont été aussi sermonnés de manière similaire. On leur a demandé des comptes de manière publique, ils ont été condamnés et réprimandés sans avertissement préalable. 

Cet été, une critique publique des plus injustes a été commise. J. Y. McCauley a posé une question qui comportait une critique de la présente méthode d'étude de la Tour de Garde. Pour cette raison il a été sévèrement réprimé. Ton action constitue une violation du principe même pour lequel nous nous battons, c'est-à-dire, la liberté de parole. Ce fût l'action d'un chef et non d'un compagnon de service. Etablir une méthode d’étude efficace avec des conducteurs d'étude imparfaits n'est pas une tâche facile, et aucune méthode actuellement élaborée n'a prouvé être parfaite à 100%. Tu as affirmé qu'aucune plainte n'était venue jusqu'à toi concernant cette méthode d'étude. Si tel est le cas, tu n'avais pas tous les faits en main. Il y a des plaintes de plusieurs provenances sur le fait que les études de la Tour de Garde ont dégénéré en simples leçons de lecture. Il se peut que la méthode actuelle soit la meilleure qui puisse être utilisée, mais aux vues de ses limites, les critiques honnêtes ne doivent pas être censurées, ni ceux qui critiquent de manière honnête punis. 

Le frère Worsley a reçu une dénonciation publique de ta part parce qu'il a préparé et a remis aux frères une liste de citations des Saintes Ecritures utiles sur des sujets fondamentaux. Comment pouvons-nous légitimement condamner les fanatiques religieux d'être intolérants quand l'intolérance est exercée contre ceux qui travaillent avec toi ? Cela ne prouve-t-il pas que la seule liberté permise au Béthel est la liberté de faire et dire ce que tu veux qu'il soit dit et fait ? Le Seigneur ne t’a certainement jamais autorisé à exercer une si haute autorité sur tes fidèles serviteurs. 

Depuis la réunion du Madison Square Garden, il règne au Béthel des conditions éprouvantes de restrictions et de suspicions. Les portiers ont été affectés à une tâche difficile, mais ils ont fait un excellent travail. Ils ont surveillé avec soin et diligence les entrées du Garden et ont empêché un certain nombre de personnages suspects de rentrer. Ils sont entrés en action immédiatement quand il y a eu du grabuge et ont réprimé une perturbation qui autrement aurait atteint de sérieuses proportions. Mais durant les deux semaines qui ont suivi l’assemblée, tu les as constamment critiqués et condamnés. Ils ont été accusés d'avoir manqué à leur devoir et étiquetés comme des "sissies" [Note du traducteur : sûrement diminutif de "sisters", sœurs, en clair de "femmelettes"]. Voir certains de ces garçons s'effondrer et pleurer à cause de tes remarques désobligeantes est pour le moins affligeant. 

Les frères du Béthel ont démontré à fond leur fidélité et leur dévotion pour le Seigneur et ne doivent pas être accusés de mauvais comportement. Une suggestion ou une remontrance dite avec bonté serait plus que suffisante de ta part pour corriger une mauvaise action, ce qui effacerait tout ressentiment et favoriserait un bonheur et un réconfort plus grands pour la famille entière. Tu as affirmé plusieurs fois qu'il n'y a aucun patron dans l'organisation du Seigneur, mais on ne peut éluder le fait indéniable que disputer et réprimander ces garçons sont les agissements d'un patron. Subir ces choses fait mal au cœur et provoque du dégoût. Si tu cesses de frapper tes fidèles serviteurs, le Béthel sera un lieu plus joyeux et l'œuvre du Royaume prospérera en conséquence. 

Discrimination 

Nous affirmons au monde que dans l'organisation du Seigneur tous sont traités de la même façon et reçoivent le même traitement autant que les biens de ce monde nous le permettent. Tu sais que ce n'est pas le cas. Les faits ne peuvent pas être niés. Considère par exemple la différence entre les logements qui te sont attribués ainsi qu’à tes préposés personnels, et ceux qui sont alloués à certains frères. Tu disposes de beaucoup, beaucoup de domiciles, à savoir au Béthel, à Staten Island, en Californie, etc. Je suis informé que même à la Ferme du Royaume une maison est mise uniquement à ta disposition pendant les courts laps de temps où tu y séjournes. Et qu'est ce que les frères à la ferme se voient attribuer ? De petites pièces, non chauffées durant les périodes froides de l'hiver. Ils vivent dans leurs loges comme des campeurs. Cela pourrait convenir s’il n’y avait pas d’autre possibilité, mais il y a beaucoup d'appartements à la ferme qui restent inoccupés ou employés à d'autres buts, et qui pourraient assurer un minimum de confort à ceux qui travaillent si longtemps et si durement. 

Tu travailles dans une pièce agréablement climatisée. Tes préposés et toi passez une partie de la semaine dans de paisibles lieux de campagne. Les garçons à l'usine travaillent diligemment durant les mois chauds de l'été sans de telles compensations, et sans qu’aucun effort ne soit fait en ce sens. C'est de la discrimination, et cela mérite que tu y accordes toute ton attention. 



Mariage 

Là encore, on assiste à un traitement inégal et discriminatoire. Un frère a quitté le Béthel il y a quelque temps dans le but de se marier et, d’après mes informations, on lui a refusé le privilège de servir comme pionnier à New York, apparemment en signe de désapprobation officielle de son départ du Béthel. En revanche, quand Bonnie Boyd s'est mariée, elle n'a pas été obligée de quitter le Béthel. On l’a autorisée à faire venir son mari au Béthel, malgré la règle écrite stipulant la nécessité pour de nouveaux époux d’y avoir vécu auparavant pendant cinq ans. 

D’un côté un traitement sévère et de l’autre un traitement de faveur, c’est de la discrimination et cela n’a pas sa place dans l'organisation du Seigneur. 

Langage vulgaire et de Mauvais goût 

Les injonctions bibliques contre les paroles et la plaisanterie malsaines et grossières n'ont jamais été abrogées. Il est choquant et écœurant d'entendre des conversations de mauvais goût et des obscénités au Béthel. Il a été rapporté par une sœur que c'est une des choses auxquelles il faut s’habituer au Béthel. A table, les rires les plus forts se font entendre au cours de plaisanteries indécentes ou déplacées, et tu es concerné.

Alcool 

Sous ton administration s'est développée la glorification de l'alcool et la condamnation de l'abstinence totale qui est devenue inconvenante. Cela ne me regarde pas qu’un Serviteur de Jéhovah boive une liqueur alcoolisée, sauf s'il s'agit d'aider un frère que cela fait trébucher. Si je m'abstiens totalement d'alcool, ce n'est l'affaire de personne, sinon la mienne. Mais il n’en est pas ainsi au Béthel. Il semble y avoir une politique délibérée de tourner les nouveaux venus vers la consommation de boissons alcoolisées et on s’offusque contre ceux qui ne se joignent pas à eux. « On n’est pas vraiment un Béthélite si l’on ne boit pas de la bière », voilà ce qui est affirmé haut et fort. Peu de temps après notre arrivée, on a dit avec mépris : « Nous ne pouvons pas faire grand-chose avec Moyle, mais nous ferons un homme de Peter. » Un frère de New York a affirmé que je ne n’étais pas en harmonie avec la vérité et la Société parce que je ne bois pas d'alcool. Une sœur de New York a déclaré qu'elle n'avait jamais consommé d'alcool ni n'en avait jamais servi avant que certains garçons du Béthel insistent. Un frère qui autrefois buvait excessivement s’astreint à une abstinence totale depuis qu’il a trouvé la vérité. Il sait qu'un seul verre risque de le replonger dans ses anciennes habitudes, malgré cela des frères du Béthel ont insisté pour qu'il consomme de l'alcool et ont déduit de son refus qu'il était en conflit avec l'organisation. Des abstinents sont considérés avec dédain comme des faibles. Tu as publiquement traité ceux sous abstinence totale de prudes et tu dois donc assumer ta part de responsabilité dans l'attitude digne de Bacchus qui a cours chez les membres de la famille. 



Ce sont quelques-unes des choses qui ne devraient pas avoir lieu dans l'organisation du Seigneur. Il y a d'autres injustices plus pénibles mais n’étant pas concerné directement je n'en ferai pas mention. 

Il ne m’a pas été facile ni agréable d’entreprendre de t’écrire ces choses et il est d’autant plus difficile de soutenir cette protestation que je quitte le Béthel. 

Nous avons vendu notre maison et notre affaire quand nous sommes venus au Béthel et nous avions la ferme intention de passer le reste de nos vies à cet endroit dans le service du Seigneur. Nous partons pour signifier le plus officiellement possible notre désaccord avec les conditions injustes relatées dans cette lettre. Nous ne quittons pas le service du Seigneur, mais nous continuerons à le servir ainsi que Son organisation aussi pleinement que la force et les moyens dont nous disposons nous le permettront. 

Je ne pars pas non plus pour ne plus avoir à lutter contre la foule du Diable dans les cours de justice. Je m'attends à revenir dans le domaine du droit privé, probablement dans le Milwaukee, ou le Wisconsin, et j’espère être de la bataille de toutes les manières possibles. Je joins à cette lettre un état des principales affaires en cours dans lesquelles je participe activement. Ce serait peu raisonnable et injuste que je laisse tomber ces affaires en cessant d’y apporter mon aide ou mon attention. Je suis prêt et désireux de défendre ces affaires devant les tribunaux aussi vigoureusement et scrupuleusement que quand j'étais au Béthel et ainsi ferai-je si tel est ton désir. 

Après y avoir mûrement réfléchi, nous te remettons cette lettre au moment de partir en vacances et cela pour des raisons très précises. Premièrement : Il est souhaitable que tu te réserves du temps pour réfléchir et accorder toute ton attention aux questions exposées ici, avant d'entreprendre une quelconque action. Une action précipitée et sous le coup de l’émotion pourrait être regrettable. Deuxièmement : Franchement je n'ai aucun désir d'un échange verbal avec toi sur ces questions. J'ai eu de très nombreuses occasions pour observer qu'une question controversée ne débouche nullement sur une discussion calme et raisonnée des faits. Trop souvent elle se transforme en une mise en accusation personnelle de ta part. 

Ce genre de bataille verbale ne m’intéresse pas. Sœur Moyle et moi-même t’avons présenté par cette lettre les raisons qui motivent notre départ du Béthel. Si ce que nous disons est faux ou erroné, nous sommes responsables devant le Seigneur de nos paroles. Si nous disons la vérité, et nous soutenons vaillamment que tout ce qui est rapporté ici est véridique, alors la responsabilité t’incombe aussitôt de remédier aux conditions justifiant notre protestation. Que le Seigneur puisse te guider et t’inciter à réserver un traitement juste et bienveillant à tes fidèles serviteurs, tels sont mon souhait et ma prière. 

Ton Frère dans le service du Roi, 

Olin R. Moyle. 

P.S. Si tu souhaites m'écrire concernant ces questions pendant les vacances, je serai en mesure de recevoir du courrier à Ticonderoga, New York, après le 29 juillet. 




1 commentaire:

  1. Merci pour ces informations argumentées ! L'accent de la vérité ne peux souffrir d'aucune entrave, et c'est à chacun d'en tirer ensuite ses conclusions.
    Cet exemple est vraiment symptomatique de ce qui se passe quand les responsables ont choisi de verrouiller l'information, souhaitant se protéger eux-mêmes plutôt que que leurs lecteurs, et s'enfonçant ensuite lamentablement par une négation suicidaire. Mais avec combien de victimes sur le chemin ? Quelle tragédie.

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